Ça va mieux ? Non, mais surtout ne changeons rien !
Jeudi 14 avril dernier, le Président de la République a tenté de partir à la « reconquête » des Français dans la nouvelle émission de France 2 Dialogues citoyens et il leur a dit : « Ça va mieux. » Quelques heures auparavant, Julien Dray, député de l’Essone et membre du Bureau national du Parti socialiste, préparait le terrain en assurant sur la chaîne parlementaire LCP que grâce à ses mesures clairvoyantes, le gouvernement « est en train de réussir économiquement. » D’après lui, la France bénéficierait même de « résultats macro-économiques remarquables. » Seul petit problème, « visiblement, personne ne s’en rend compte. »
Son collègue Cambadélis, premier secrétaire du PS, a la solution : il y a des résultats, mais il faut procéder à quelques ajustements mineurs d’ordre communicationnel. « Le temps de la pédagogie est arrivé » a-t-il déclaré. Hélas pour le PS, les Français ne semblent plus guère décidés à écouter sagement le Professeur Hollande.
On peut créditer Julien Dray d’une bonne analyse sur au moins un point : à supposer qu’il y ait quelque chose de positif à voir, les Français ne s’en rendent très visiblement pas compte. Il n’est que de considérer le dernier sondage de popularité disponible, réalisé par l’institut Yougov pour le Huffington Post les 30 et 31 mars derniers. La cote globale du gouvernement atteint son plus faible score jamais enregistré dans ce baromètre, soit 12 %. François Hollande tombe à 13 % d’opinions favorables et le Premier ministre Manuel Valls atterrit à 20 %. Ce dernier garde cependant la majorité chez les sympathisants PS-EELV, ce qui n’est plus du tout le cas du chef de l’État. Cruel désaveu pour la méthode Hollande.
De fait, au sein de l’exécutif, la situation de François Hollande est particulièrement douloureuse. C’est assez logique dans la mesure où il est à la tête du pays et où le changement de majorité survenu en 2012 s’est fait sur son nom, sa personnalité, son programme et ses promesses. Interrogés par l’institut de sondages Odoxa quelques jours avant sa prestation sur France 2, les Français sont 71 % à déclarer ne pas être intéressés par cette émission, 76 % pensent que François Hollande devrait renoncer à se représenter en 2017 (pour laisser la place à un meilleur candidat socialiste, ce qui en dit quand même long sur la sympathie viscérale pour le socialisme), 83 % pensent qu’il ne réformera plus et 53 % prédisent même qu’il ne s’engagera dorénavant que dans des mesures électoralistes.
Même Sarkozy n’a jamais fait l’objet d’une telle déconsidération empreinte d’une sorte d’indifférence teintée de mépris agacé. Dans ces conditions de rejet qu’aucun autre Président de la Vème République n’a jamais expérimentées, on comprend que le terme « reconquête » vienne spontanément à l’esprit des observateurs de notre vie politique. Certains n’ont pas manqué de remarquer que le format de l’émission de France 2, comme les quatre membres de la société civile conviés spécialement pour faire remonter leurs préoccupations, avaient été taillés sur mesure afin de lui permettre de retrouver à coup sûr le coeur des Français. Au lieu de quoi nous avons eu droit à l’ennui de plus en plus tenace que le radotage compulsif du Président ne manque pas de générer à chaque nouvelle prise de parole.
À le croire, la France expérimente avec bonheur un contexte économique porteur dans lequel il y a « plus de croissance, moins de déficits, moins d’impôts et plus de compétitivité. » Quant au chômage, dont la fameuse inversion de la courbe reste d’actualité pour son avenir politique, il est sans doute plus élevé qu’en 2012, mais finalement, vu dans l’ensemble européen, on aurait tout lieu de se réjouir :
N’en déplaise à MM. Dray et Cambadélis, si les Français s’obstinent à ne rien discerner de positif dans les accomplissements du gouvernement, c’est peut-être tout simplement parce qu’il n’y a justement rien à voir. Du Monde à Metronews en passant par Le Figaro, la presse s’est largement fait l’écho des petits arrangements avec la réalité auxquels le Président, précédé de ses thuriféraires, s’est livré sans vergogne jeudi soir. Pour reprendre une expression fréquemment utilisée par les anglo-saxons, François Hollande s’est montré « économe avec la vérité », mais c’est bien le seul domaine où l’on pourra le taxer de parcimonie.
Non, M. Hollande, le chômage que nous connaissons n’a rien à voir avec ce qu’il devrait être dans un pays européen comme le nôtre. Non seulement il a énormément augmenté depuis 2012 alors que la crise de 2008 commence à s’éloigner, mais les comparaisons dans l’Union européenne sont loin d’être flatteuses. Si, avec plus d’à propos, on s’en tient à nos voisins anglais et allemands, dont l’économie est d’une taille comparable à la nôtre, nous sommes purement et simplement au double d’eux (5 % environ au Royaume-Uni et en Allemagne contre 10 % en France). Rappelons que la France avec son outre-mer comptait 4,6 millions de chômeurs en catégories A, B et C en mai 2012, et que ce chiffre est maintenant de 5,8 millions à fin février 2016. Rappelons également que le taux de chômage des jeunes est de 25,9 % contre une moyenne de 19,7 % dans l’UE et 22 % pour la zone euro seule.
Non, M. Hollande, les comptes publics ne prêtent nullement à la gloriole. Si le déficit public creusé en 2015 est légèrement inférieur à celui de 2014, il ne faut y voir que le jeu des taux d’intérêt maintenus bas par la BCE et les prix du pétrole en baisse, toutes situations qui ne doivent rien à la lucidité de vos politiques publiques. Ces dernières, élaguées de l’effet taux d’intérêt et de l’effet prix du pétrole, se sont au contraire vautrées comme d’habitude dans la croissance des dépenses, des impôts et des cotisations sociales. Vu le niveau de la dette publique, qui augmente toujours, vu la faible croissance de l’activité et la faible confiance en l’avenir des agents économiques, la remontée des taux ainsi que celle des prix du pétrole seraient simplement catastrophiques pour notre économie.
François Hollande n’a jamais parlé plus justement que quand il s’est objecté à lui-même par pure rhétorique :
« Quand le Président dit que ça va mieux quand il y a tant de difficultés, on se demande s’il voit bien, s’il écoute bien, s’il a bien pris conscience des réalités. » Dialogues Citoyens, le 14 avril 2016, France 2.
À ce stade, on comprend même les yeux fermés que si personne ne se rend compte des bons résultats de la politique de François Hollande, c’est uniquement parce que ces résultats n’existent que dans la propagande gouvernementale, laquelle est totalement dépendante de la trouille électorale qui commence à saisir les socialistes aux tripes. Méthode Hollande ou pas, cela ne marche pas.
Prenons Anne Hidalgo, par exemple. Une socialiste en bonne et due forme, quoique un peu frondeuse, au moins par alliance (son mari est le député des Hauts-de-Seine Jean-Marc Germain, membre des Frondeurs). Eh bien Anne Hidalgo est terriblement inquiète et a fait part de ses émotions à VSD, repris par Le Figaro :
« L’échéance 2017 sera difficile pour ma famille politique parce qu’on ne peut pas dire qu’on a démontré une grande efficacité dans les réalisations et on a un peu tourné le dos aux engagements. »
Voilà qui est parler clair et sans chichis, quoique de façon un peu trop portée sur la litote. La grande efficacité qu’on n’a pas démontrée est en fait un goût prononcé pour la faillite, tandis que les engagements auxquels on a un peu tourné le dos ne sont rien d’autres que des promesses de campagne qui n’engagent que ceux qui les croient. Toujours est-il que pour Anne Hidalgo, la grande erreur du gouvernement tient à ce qu’il s’est montré :
« conservateur sur les questions de société et ultra-libéral sur les questions économiques. »
Comme quoi, des goûts et des couleurs politiques ! Parce que si je devais résumer l’action du gouvernement en m’en tenant aux réalisations actées dans les livres et les chiffres, je dirais 1. qu’il a légalisé le mariage homosexuel, ce qui n’est pas particulièrement conservateur sur le plan sociétal, et 2. que la part du public dans le PIB atteint 57 %, ce qui éloigne à jamais la France de tout libéralisme, même ultra-mini.
La vie politique française est entièrement faite de ces semi-lucidités contradictoires, qui n’épargnent ni les hommes politiques ni les citoyens. J’en arrive ainsi à ce que souhaiteraient les Français pour 2017. Bien formatés par la propagande marxiste qui sévit chez nous depuis l’après-guerre, bien convaincus par les cadres collectivistes qui marquent notre politique économique depuis la même époque, et complètement accros à l’État-providence qui scella l’indispensable union nationale consécutive à la victoire sur l’Allemagne nazie, ils restent pour la plupart convaincus qu’un socialiste, par construction, est un être hautement moral doublé d’un gentil et triplé d’un généreux.
Les autres, ceux qui se disent de droite, s’alarment en plus de la façon dont les socialistes conçoivent leur « déficit » de politique sociétale. Mais tous, des notaires à la syndicaliste recalée de l’émission Dialogues citoyens, partagent le goût national pour la « protection » de l’État, depuis la réussite garantie au Bac jusqu’à la couverture sociale des actifs et la retraite, jusqu’à, pourquoi pas, des revenus minimum universels garantis, en passant par les politiques de santé et les recommandations diététiques.
C’est ainsi que nos candidats présidentiels, déclarés ou pas, de gauche ou de droite, Hollande ou Juppé, nous le promettent tous : on va réformer, mais sans remettre en cause notre modèle social et notre service public. Eh bien ça, mes amis, ce n’est pas possible, tout simplement parce que c’est le poids toujours croissant de l’État qui nous empêche de réformer, qui creuse jour après jour le chômage et plombe la croissance.
Cet empêchement prend deux formes. La première est directe : tout l’argent consacré à la survie de l’État-providence et à l’embauche de fonctionnaires, argent qui vient des cotisations sociales et des impôts, est autant de moins pour l’investissement privé seul à même de générer la valeur ajoutée qui entraînerait de la croissance, des revenus supplémentaires et des emplois supplémentaires. La seconde est indirecte mais terriblement pernicieuse car elle est philosophique : chaque jour qui passe renforce l’idée que cet État-providence est un acquis éternel, chaque homme politique qui répète sans la moindre remise en cause qu’il n’est pas question d’y toucher accrédite l’idée que ça vaut le coup de le garder en l’état, que ça vaut le coup de se battre pour en conserver tous les éléments.
Vu comme cela, de Juppé à Hollande et de Hollande à Mélenchon, les manifestations contre la loi Travail ou la Loi Macron, aussi minuscules et aussi faiblement libérales soient ces lois, ne sont jamais que l’expression populaire de cette mortifère idée répétée en boucle sur tout l’échiquier politique de ne pas toucher à notre modèle social, que le monde entier nous envie sans avoir jamais tenté de le mettre en place.
À peine vocalisées, à seule fin d’afficher un réformisme de façade pour quelques bénéfices à court terme vis-à-vis de l’Union européenne, les lois libéralisantes sont proprement évidées et la promesse de ne toucher à rien est promptement remise sur le devant de la scène, au grand soulagement de presque tout le monde. « La France est irréformable » entend-on soupirer de-ci, de-là. Il est d’autant plus facile de soupirer d’un air faussement entendu, qu’on est sûr que rien, absolument rien ne se passera, jusqu’à ce qu’une vraie catastrophe (remontée des taux, par exemple) ne nous laisse plus aucun choix.
Nathalie MP.