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  • : Le blog de Jean-Loup
  • : Engagé, depuis plusieurs décennies dans une démarche visant à lutter contre tous les processus d'exclusion, de discrimination et de ségrégation socio-urbaine, je suis persuadé que si nous voulons « construire » une société reposant sur un véritable Vivre Ensemble. Il nous faut savoir, donner du sens au sens, prendre le temps de la concertation et faire des propositions en adéquation avec les besoins de nos concitoyens.
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14 octobre 2015 3 14 /10 /octobre /2015 13:32

Témoignage d’un professeur souhaitant garder l’anonymat.

La France est un beau pays qui vit au rythme des saisons. En été, il fait chaud, en hiver, il fait froid et comme il ne faudrait pas perturber l’écosystème fragile et délicat du ronflement charmant d’une population quasiment devenue servile, au bac donné à tout le monde s’ensuit immanquablement la rentrée.

On s’était quittés un peu en froid avec Madame le ministre, qui avait imposé par décret une énième couche de réformite sur l’usine à gaz du second degré et qui n’avait pas franchement besoin qu’on en rajoute une.

On n’avait pas bien aimé qu’elle passe le décret en force le lendemain de la première grève. Après tout si nous nous étions mis en grève, ce n’était pas parce que nous avions jugé cette réforme satisfaisante, ni même pertinente et c’est donc dans un délire parfaitement schizophrène que Madame Vallaud-Belkacem piaille un peu partout qu’elle nous « consulte », prouvant dans le même temps qu’elle s’en fiche éperdument et comme de sa première paire de chaussettes.

On n’avait pas trop aimé le calendrier tout court qui prouvait sa volonté manifeste de passer en force, et qui montrait clairement qu’elle espérait, entre deux attaques subtiles sur un prétendu méchant zintellectualisme des professeurs, que nous oublierions pendant les vacances et que pouf, miracle, à la rentrée, nous ne parlerions plus de la réforme, laquelle se mettrait en place dans l’indifférence généralisée.

C’est bien connu, les professeurs n’ont pas de mémoire, et puisque les élèves oublient tout durant les vacances, nous serions bien aimables d’en faire autant.

Sauf que le professeur est rarement coopératif quand il sait que le gouvernement veut mettre en place une réforme qui nuira directement aux élèves et nous avons passé l’été à leur envoyer descartes postales pour bien leur rappeler que non, non, décidément, nous n’oublions pas et sommes déterminés.

Nous n’avions pas beaucoup aimé, non plus, lorsque nous avions décidé de continuer à taper du poing sur la table, un peu plus fort en perturbant les épreuves et les corrections du diplôme national du brevet, que la presse ne parle que de la grève des taxis. Sans doute aurions-nous dû aller devant Acadomia, renverser des poussettes.

C’est à ce moment-là que nous nous sommes dit qu’il fallait peut-être changer d’approche, ne serait-ce que parce que nous ne pouvons pas multiplier les grèves indéfiniment. Le professeur aussi a besoin de manger, bien qu’une collègue se soit carrément mise en grève de la faim en signe de protestation : l’institution n’a pas bronché, comme elle n’a pas daigné broncher suite au recours déposé devant le Conseil d’État.

Dans cette optique, quelques collègues de lettres classiques, mais pas seulement, ont réalisé un calendrier afin d’attirer l’attention de la presse. L’opération a été un succès puisqu’elle aura permis quelques passages media et qu’au lieu des quarante exemplaires prévus, ce sont 2 600 exemplaires qui auront été écoulés. Une initiative qui n’aura pas plu au rectorat qui aura tôt fait de convoquer certains collègues pour rappeler qu’en tant que gentils fonctionnaires, il faudrait sauter de joie et affirmer haut et fort que la réforme c’est le bien parce que c’est comme ça.

Plus médiatisé, mais finalement, pas tant que cela au regard du scandale absolu dont il s’agit, on remarquera le cas de Romain Vignest, président de l’Association des professeurs de lettres, assez représentatif de l’autoritarisme caractéristique de ceux qui savent qu’ils tressent plus des colliers de nouilles qu’ils ne disent la vérité. Suite à un pamphlet, certes pas très sympathique à l’égard d’une réforme qui n’a que ce qu’elle mérite, ce professeur se fera très vite remonter les bretelles par son supérieur hiérarchique, le directeur académique des services de l’Éducation nationale en charge des professeurs au rectorat de Paris, qui ira jusqu’à remettre en cause la qualité de ses cours au motif de « violence » envers la réforme.

Il semble tout de même qu’une telle crispation est éminemment suspecte de la part de personnes vertueuses, soucieuses de la formation intellectuelle des citoyens, lesquelles proposent une réforme véritablement innovante – les Itinéraires de découverte ou l’Accompagnement personnalisé n’ayant, en réalité, jamais existé et n’ayant pas encore fait preuve de toute l’étendue, si ce n’est de leur nuisance, de leur vacuité – et qui ne rencontrent de résistance que chez ceux qui n’ont pas compris les textes.

Ou alors, s’ils sont effrayés à la vue de 2600 exemplaires d’un calendrier plutôt potache ou par le pamphlet d’un professeur, c’est parce qu’ils savent très bien que leur réforme va conduire encore plus d’élèves dans un mur et souhaitent à tout prix ne pas réveiller les parents d’élèves, pour certains déjà bien réveillés par une réforme des rythmes scolaires catastrophique à tous les niveaux, à laquelle s’ajoutera le nouveau calendrier décidé en concertation avec absolument tous les acteurs de l’éducation, c’est-à-dire essentiellement les ministres et les professionnels du tourisme. Dans l’indifférence la plus totale, certains enfants vont avoir des périodes de cours allant jusqu’à onze semaines, soit presque le double du rituel « six semaines de cours et deux de vacances » : c’est long, surtout pour les plus petits, surtout en fin d’année.

On comprend, dès lors, que Madame le ministre, accompagnée du Président, est allée très mollement faire son discours de rentrée dans l’école maternelle et élémentaire de Pouilly-sur-Serre, prestigieux lieu de l’éducation comptant cinq cents âmes, ce qui minimise grandement les risques de se faire accueillir sous les sifflets, voire une volée de tomates un peu mûres. La colère est grande et bien que le gouvernement tente de sauver les apparences en racontant à qui veut l’entendre que tout ceci n’est qu’un malentendu, que les contestataires ne sont qu’une minorité zélitiste, derrière, toute l’institution se crispe et grince.

Par exemple, lorsque le ministre se rend dans un collège de Douai, elle demande carrément que l’on retire toutes les affiches mentionnant l’enseignement du latin, probablement pour éviter certaines questions qui pourraient déranger.

Alors bon, dans ce contexte, nous avons refait grève, dans un esprit de détermination ; et c’est joyeusement qu’elle nous a sorti, le soir même, le baratin de la dictée, du calcul mental, du retour aux fondamentaux, histoire d’implanter dans l’inconscient collectif l’idée qu’avec la réforme, c’en est fini du laisser-aller et qu’on va enfin se mettre au boulot, alors qu’en réalité, l’idée des EPI c’est juste l’exact opposé : on ne peut pas mettre l’interdisciplinarité avant le savoir disciplinaire, c’est juste du bon sens. Nous n’étions pas contents du tout mais je salue l’opération de communication.

D’une, ce genre de propos, ce n’est pas son travail, ni sa responsabilité, rien. Mes pratiques et celles de mes collègues sont nos pratiques, cela nous regarde et à la rigueur, c’est quand même moi qui suis le mieux placé pour juger des élèves et de ce qui leur convient. Ce n’est pas du haut de ses études à sciences po’ qu’elle va m’apprendre à faire un cours de philosophie. Mais surtout, ça se fait déjà, les dictées et le calcul mental, même si trop souvent les inspecteurs réprimandent les collègues parce que c’est méchant. Enfin, et point non négligeable, la dictée est un outil de contrôle des apprentissages, tant qu’on ne reviendra pas à la méthode syllabique, rien ne changera.

Ces affirmations ne sont donc ni de son ressort, ni utiles, et elles sont même franchement inutiles. Bravo. Joli coup, mais coup-bas.

D’autant qu’elle ne précise pas de quel type de dictées il s’agit : dictée d’un texte d’un grand auteur ? Dictée littérature jeunesse ? Auto-dictée ? La réponse sera donnée par le président du CSP : la dictée, ce sera une consigne d’art plastique. Car oui, le français n’est pas une vraie matière, c’est transversal. La preuve : on l’utilise même en mathématiques et c’est d’ailleurs pour cette raison que ce n’est pas si grave de perdre des heures pour en faire des EPI.

Bref, la mascarade et la poudre aux yeux, c’est mignon mais cela ne leurre qu’un temps. Alors, le 10 octobre, je suis allée perdre, non mon salaire, mais mon temps et mon énergie, à battre le pavé pour demander l’abrogation d’un texte nuisible qui en devient odieux à force de pressions internes et d’humiliations publiques.

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9 septembre 2015 3 09 /09 /septembre /2015 08:01

En septembre 2014, c’était l’effervescence en Socialie : tout le petit monde s’agitait à la découverte d’un paquet de propositions révolutionnaires émises par un MEDEF qui sortait son gros bazooka pour dynamiter le code du travail. SMIC, répartition du temps de travail, retour à des discussions employeur/salarié moins encombrées de formalisme, tous les ingrédients étaient réunis pour déclencher une véritable tempête chez les syndicats de salariés et au sein d’un gouvernement dont la doctrine n’a jamais su s’accommoder de la notion d’entrepreneur. Heureusement, ces propositions ne furent évidemment suivies d’aucune mise en pratique et la tension redescendit gentiment.

C’est donc avec une relative surprise qu’on apprend, un an tout juste après ce premier ballon d’essai patronal, que le gouvernement tendrait à présent une oreille attentive à une charrette de propositions toutes aussi révolutionnaires du célèbre Think-Tank Terra-Nova.

Terra Nova (avec Nova parce que c’est comme les étoiles du même nom, à savoir aveuglant et particulièrement destructeur, et Terra, parce que la « terra ne ment pas » je suppose), c’est cette association socialiste lucrative sans but pratique qui pond, de temps en temps, l’une ou l’autre étude richement médiatisée pour prouver que, par exemple, l’immobilier mérite d’être réformé à coup de trucs innovants comme des taxes et des contraintes supplémentaires ; c’est de ce Think-Tank cet aquarium à penseurs que sont régulièrement issues les subtiles recommandations économiques d’augmenter les dépenses et les taxations tous azimuts pour justifier la politique keynésienne ou carrément foutraque de l’actuel gouvernement. Bref, si Terra Nova était dans la Formule 1, ce serait la seule équipe à tout miser sur un tricycle à turbo.

On comprendra donc que c’est avec la plus grande circonspection qu’on devra accueillir leurs nouvelles idées concernant le code du travail. Utilisant sans doute la préparation psychologique du terreau socialiste par le travail de Robert Badinter et du professeur d’université en droit du travail Antoine Lyon-Caen, qui remettaient ouvertement en cause un droit du travail devenu illisible et proposaient même de le réformer en profondeur, le Think Tank s’est donc récemment fendu d’un rapport rédigé par Gilbert Cette, un économiste de gauche (comme si, en France, il y en avait encore de droite) et théoricien de la réduction du temps de travail, et de Me Barthélémy, spécialiste du droit social.

Première surprise (modérée) : le nouveau duo confirme qu’effectivement, le droit du travail français est un tantinet complexe et que cette complexité pourrait bien avoir des effets de bords négatifs sur le plan économique. Seconde surprise, plus fondamentale celle-ci : au lieu de préconiser une bonne volée de taxes, comme à l’habitude du Think Tank et des socialistes en général, nos deux rapporteurs tentent de promouvoir « autant que possible » la négociation collective et l’accord entre partenaires sociaux, c’est-à-dire de faire jouer un principe proche de la subsidiarité, qui veut que ce soit les acteurs les plus proches du problème qui le traitent, ce qui revient en substance à placer le Code du travail comme norme par défaut, aisément remplaçable lorsqu’il le faut au niveau local entre adultes consentants. Autrement dit, on fait passer le droit conventionnel avant le droit règlementaire.

Dans cette vision franchement stupéfiante du travail en France, les partenaires sociaux, dans chaque entreprise ou chaque branche de métier, seraient considérés comme des gens normaux, pourvus d’un cerveau pas complètement spongieux, avec une responsabilité d’adultes consentants pas totalement annihilée et auraient donc toute latitude, via un accord collectif, de déroger à la loi et substituer les normes conventionnelles aux normes réglementaires, d’adapter les normes du Code du travail (seuils sociaux, durée du travail, niveau des rémunérations) aux besoins locaux.

Alors oui, sur le papier, c’est carrément libéral.

Ça l’est même tellement que ça rejoint les travaux d’un autre think-tank, nettement moins à gauche que le Terra Nova en question, et qui aboutit globalement aux mêmes conclusions : l’Institut Montaigne, dans son étude « Sauver le dialogue social : priorité à la négociation d’entreprise », dénonce « la construction législative, jurisprudentielle et doctrinale du droit du travail (…) historiquement datée » (ce qui est pudiquement dit pour un Code du travail asphyxiant écrit par des scribouillards qui n’ont, pour leur écrasante majorité, jamais été confronté au travail dans le privé), préconise lui aussi que les accords au niveau des entreprises ou des branche priment sur le Code du travail, ceci permettant de redonner un peu de marges de manœuvre et de performance au modèle actuel.

C’est même si libéral que la plupart des organes médiatiques, des syndicats et des politiciens n’ont pour le moment pas encore réagi devant ces éléments, captivés qu’ils étaient par d’autres sujets, plus graves ou plus cyniquement porteurs pour leurs petites affaires. Il est à noter qu’a contrario, tout comme le peuple a largement démontré à plusieurs reprises être bien plus souple que ses élites en matière de jour hebdomadaire chômé, un récent sondage montre que près des trois quarts des Français sont prêts à abandonner les 35 heures.

Devant ce genre de propositions, on comprend dès lors les petits pas feutrés et aussi discrets que possible de l’actuel gouvernement, franchement peu populaire, n’ayant finalement aucun cap (si ce n’est celui du changement, un peu mince pour faire une belle route décidée) et ayant abandonné toute conviction quelque part dans une déserte campagne française il y a plusieurs mois de cela. Mais là où l’affaire prend un tour vraiment comique, c’est que ces propositions révolutionnaires seront présentées et discutées avec exactement la même démarche que celle qui présida pour la belle et grande réforme Macron.

En effet, dès le départ, la réforme du droit du travail se place avec un handicap de taille, certainement connu et déjà pris en compte par l’équipe en place : un accord de branche ou au sein d’une entreprise impose une forte syndicalisation des salariés, et, d’une façon ou d’une autre, que ces syndicats ne s’opposent pas stérilement à ces changements. Si, d’emblée, cette absence d’opposition paraît particulièrement difficile à obtenir, l’augmentation de la syndicalisation semble, elle, totalement inatteignable.

En outre, la moindre négociation concernant le droit du travail devra se faire en incluant le ministère du Chômage Travail dont le ministre vient tout juste d’être renouvelé. Chouette, d’âpres dialogues, du compromis taillé au cordeau, de la réforme qui roxxe du chaton mignon, pas de doute, Myriam El Khomeri a tout ce qu’il faut pour tripoter le succès fiévreusement : elle s’y engage même et promet de mettre les doigts dans le droit !

Autrement dit, rassurez-vous : tout comme les propositions initiales de Macron furent copieusement rabotées pour n’être plus qu’une énième couche de législation dans un maquis franco-français de règlements touffus, on peut déjà parier que la réforme du droit du travail dont il est question fera le même trajet ridicule : celui d’une baudruche pleine d’air chaud, brutalement ouverte en plein air et dont le bruit de dégonflement, évoquant celui d’un pet gras, s’ajoutera à celui des autres « réformes » d’un quinquennat vide de sens.

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26 juin 2015 5 26 /06 /juin /2015 08:56

Aujourd’hui, je vous propose un billet prompt à susciter le recueillement, voire la componction : le quinquennat Hollande aura en effet été parsemé de nombreux enterrements, tragiques comme ceux liés aux attentats sur la rédaction de Charlie Hebdo, ou solennels comme le déplacement de résistants au Panthéon. À chaque fois, on aura multiplié les pompes, grandioses, les mobilisations du public ou des médias, mais décidément, les plus coûteux ne sont pas ces occasions-là. De loin, les enterrements les plus coûteux furent ceux des logiciels dont l’État voulait se doter pour simplifier sa tuyauterie administrative. C’est donc à une petite rétrospective que je vous convie ici.

Et si les grandes entreprises privées modernes sont, informatiquement parlant, à la pointe du progrès, n’hésitant jamais à dégoter des idées géniales, à faire appel à du big data et à parfois claquer des millions en technologies avant-gardistes, en centres de calcul surpuissants et en méthodologies de développement agiles et souples, lorsqu’on parle d’informatique et de services de l’État, il sera difficile de se débarrasser de cette idée d’un marécage boueux et collant de technologies disparates, dépassées, de tubulures complexes et fragiles et d’une immonde série de processus antédiluviens que personne n’osera remettre à plat tant les connaissances attachées à ces processus ont disparu avec le départ en retraite des fonctionnaires à leurs origines.

De ce point de vue, on aura même tendance à confirmer cette impression avec les expériences plus ou moins douloureuses d’informatisation dans certains domaines, comme le RSI par exemple, à tel point que certains parlementaires en sont à demander une remise à plat complète, ou plus général encore, Pôle Emploi lorsqu’il s’est agi de fusionner l’ANPE avec les ASSEDIC. À chaque fois, le résultat fut rocailleux, pour le dire gentiment, et les usagers en subissent encore les conséquences, parfois graves, de nos jours.

Difficile aussi de passer sous silence l’incroyable aventure de Louvois, l’applicatif dont l’objectif était au départ de gérer l’ensemble des soldes des militaires français, et dont le développement aura rapidement dépassé toutes les prévisions budgétaires pour aboutir à une facture finale de plus de 480 millions d’euros, dénoncée par une Cour des Comptes frôlant l’apoplexie. Un petit demi-milliard d’euros auquel devront s’ajouter une ribambelle de millions d’euros pour les trop-perçus, les erreurs de soldes, les coûts de corrections et de dysfonctionnements qui ont coûté à la Défense entre 150 et 200 millions d’euros par an, c’est-à-dire peu ou prou l’équivalent des économies permises par les réductions d’effectifs que le logiciel aurait dû permettre. Et pompon de l’affaire, Louvois étant déclaré incorrigible, le ministre de la Défense a finalement jeté l’éponge et enterré, purement et simplement, le monstrueux logiciel. Ce n’est pas grave, c’est l’État qui paye, n’est-ce pas.

Bien évidemment, le problème initial (celui du calcul des soldes militaires) n’étant donc pas résolu, il a fallu remettre en chantier un nouveau logiciel. Rassurez-vous, la facture s’établit pour le moment à 128 millions d’euros (ce n’est pas grave, c’est l’État qui paye), et la nouvelle application sera réalisée par SOPRA, qui vient de fusionner avec STERIA, la fine équipe qui avait produit la précédente performance artistique. Forcément, tout va bien se passer.

Et puis tant qu’on est dans les logiciels de paie, il serait dommage de ne pas mentionner l’Opérateur National de Paie (ONP), développé par le consortium Accenture-Logica-SOPRA. Ce progiciel fabuleux devait gérer la paye de 2,5 millions de fonctionnaires à partir de 2017. Je dis « devait » parce qu’après avoir investi des centaines de millions d’euros depuis 2007, l’État a décidé, là encore, d’enterrer ce projet, en l’annonçant le 4 février dernier aux 500 personnes mobilisées à temps plein sur le dossier. L’objectif de l’ONP, qui était de réaliser 190 millions d’euros d’économies par an, se traduira donc par un trou. Et quel trou ! Le naufrage de ce logiciel-ci s’établit mollement autour de 346 millions d’euros, en pure perte donc. Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas grave, c’est l’État qui paye.

Décidément, l’État semble abonné aux catastrophes informatiques majeures, et ce, dès qu’il s’emploie à nettoyer, remettre à plat et fusionner ses systèmes afin de faire des économies. Tout se passe comme si, justement, la simple velléité affichée de faire des économies se traduisait immédiatement par des dérapages proportionnellement plus grands que les économies espérées. Ces économies, toujours présentées comme majeures, aboutissent donc de façon paradoxale à des poubellisations de logiciels et des dépassements budgétaires bien supérieurs.

Dès lors, peut-on être rassuré lorsqu’on apprend que le ministère de la Justice s’est lancé à son tour dans une refonte de son logiciel de gestion des détenus, baptisée Genesis ? Son objectif affiché est de remplacer le fichier national des détenus et le logiciel Gide, qui recensent les décisions concernant les détenus. Malheureusement, les blocages, bugs, dysfonctionnements et anomalies s’empilent doucement au point de ralentir tout le petit monde de la Justice en France, déjà assez peu suspect d’alacrité compulsive. Pire, ce nouveau logiciel devait permettre de connaître le montant déposé sur le compte nominatif où sont inscrites les valeurs pécuniaires de chaque détenu, et d’effectuer ses virements vers les parties civiles selon les règles prévues à l’article D320, avec une « quote-part » obligatoire, versée automatiquement aux victimes comme dommages et intérêts. Las : cette opération n’est plus possible par le logiciel, ce qui pénalise les victimes, et les détenus (leurs remises de peines dépendant aussi des montants versés en dédommagement, montants devenus impossibles à connaître dans la nouvelle usine à gaz). Le logiciel, produit par SOPRA (pure coïncidence), ne fonctionne donc pas du tout.

Combien ce logiciel va-t-il (nous) coûter à l’État, en développement, en maintenance corrective, en cris, en grincements de dents, et surtout, en enterrement lorsqu’on verra qu’il n’est finalement pas récupérable ? Plus à propos, compte-tenu de l’actualité et compte-tenu de l’historique global des grands projets informatiques gérés par l’État, peut-on raisonnablement attendre une bonne réussite du basculement de l’impôt actuel au prélèvement à la source planifié en plein milieu d’élections présidentielles ?

Pour ma part, mon avis est fait : forcément, tout ça va bien se …..

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19 juin 2015 5 19 /06 /juin /2015 09:18

Eh oui !!! le Baccalauréat 2015 a bien commencer avec la traditionnelle épreuve de philosophie. Comme les années passées, on trouve bien évidemment le lot habituel de sujets « bateaux » (« Suis-je ce que mon passé a fait de moi ? ») ou qui caressent gentiment le chaton mignon qui sommeille en chacun de nous (« Respecter tout être vivant, est-ce un devoir moral ? »). Plus intéressant cette année, on découvre une question piquante dans l’actuel contexte gouvernemental : « La politique échappe-t-elle à l’exigence de vérité ? »

Facétie d’un corps professoral particulièrement agacé par l’actuelle réforme du Collège, passée avec la délicatesse d’un gouvernement en mode Panzer (49/3) ? Désir de vouloir réveiller des centaines d’élèves en les faisant réfléchir sur l’incroyable écart entre ce que le politicien promet et ce qu’il délivre, mandat en poche ? On ne saura pas trop ce qui a abouti à poser une telle question dans les sujets du bac 2015, mais reconnaissons un certain courage aux enseignants pour avoir osé un tel sujet.

Courage d’abord parce qu’il faut bien le reconnaître, poser la question, c’est un peu y déceler la réponse d’un corps enseignant réputé pour avoir voté massivement pour l’actuel président et qui doit trouver sa pilule bien amère à avaler, si tant est que ce ne soit pas carrément la socratique ciguë : entre la pluie drue d’impôts tous azimuts, la douche froide de la non-création de postes réclamés pourtant à cor et à cri par certains syndicats enseignants, l’introduction pour le moins chaotique de nouveaux rythmes scolaires ou la fameuse réforme des collèges, difficile pour le gouvernement de trouver grâce auprès d’un groupe qui a longtemps compté dans son électorat.

Dans ce contexte, les dénégations répétées de la ministre en charge du dossier n’ont absolument pas aidé à apaiser les tensions et peut-être la question du sujet répond-elle, en creux, aux allégations de « mensonges éhontés » qu’elle a proférées ces dernières semaines.

Par extension, ce courage se retrouve dans le traitement d’une question qui rappelle de façon lancinante l’état réel de la politique en France actuellement, où, précisément, tout lien avec la vérité semble avoir été perdu.

Et il n’est même pas besoin de rappeler la longue suite d’affaires scabreuses, financières ou phobico-administratives que la République aura endurées ces dernières années pour étayer le point en question, tant l’actualité nous envoie, telle une tarte à la crème béhachélesque, une réponse toute faite à la figure. D’ailleurs, nulle autre que Ségolène Royal ne pouvait espérer présenter ainsi une si magnifique exemplification de l’échappatoire politique à toute exigence de vérité.

Apparemment déjà bien remontée dans les tours suite à sa décision d’interdire le Roundup au premier janvier prochain (en réalité, une interdiction de sa vente libre en rayon pour une vente encadrée), Mamie Ségolène ne voulait pas s’arrêter là et s’est donc lancée dans une énième diatribe à l’encontre de Nutella, abominable création qui provoquerait, outre d’énormes bénéfices absolument pas compatibles avec la morale socialiste, des déforestations, de l’obésité mondialisée et une sensation pleine de noisette sur les tartines des petits et des grands, ce qui n’est pas le moindre des scandales (on en conviendra aisément).

Invitée au Petit journal de Canal+, la ministre socialiste évoquait benoîtement l’attrape-nigauds climatique de fin d’année, le COP 21, quand elle a décidé de flanquer quelques claques à la pâte à tartiner :

«Il faut replanter massivement des arbres parce qu’il y a eu une déforestation massive qui entraîne aussi du réchauffement climatique. Il faut arrêter de manger du Nutella par exemple parce que c’est l’huile de palme qui a remplacé les arbres. Et donc il y a eu des dégâts considérables. »

On passera très vite sur l’huile de palme qui remplace des arbres en supposant charitablement que notre ministre voulait dire en réalité qu’on a remplacé une forêt tropicale par des plantations de palmiers huiliers, de même qu’on ne s’attardera pas trop sur les exagérations concernant la déforestation, monnaie courante de nos jours.

En revanche, on pourra se demander ce qui a poussé la ministre à sortir une telle charge sur un produit qui, s’il a peut-être des défauts, demeure une production industrielle assez bien maîtrisée et plutôt respectueuse de l’environnement (huile de palme certifiée durable), et dont l’impact économique est particulièrement important : sa production bénéficie directement aux exploitants de palmiers dont plus de la moitié ne sont pas des multinationales, mais bien des petites entreprises familiales ; quant à la pâte elle-même, pour la France, elle est produite … en Seine-Maritime, à Villers-Ecalles, à 15 km de Rouen.

Autrement dit, les bêtises de Royal menacent directement la vie de dizaine de milliers de petits exploitants dans le monde (dont c’est la seule ressource) ainsi que les 330 salariés de Ferrero France à Villers-Ecalles qui sont probablement ravis de voir ainsi leur production clouée au pilori.

En outre, on se perd en conjecture sur la pertinence de rattacher encore une fois le réchauffement climatique sur cette attaque idiote contre un produit qui, si l’impact anthropique était significatif, n’y contribuerait de toute façon pas le moins du monde.

L’énormité de la déclaration ministérielle aidant, la polémique a pas mal enflé au point de déclencher un début de crise diplomatique. On se souvient que fin 2014, les idées aussi sottes que grenues de Sapin et Touraine, visant à stigmatiser l’huile de palme, avaient particulièrement agacé le gouvernement malaisien qui s’en était ouvert par écrit auprès du gouvernement français. Cette fois-ci, c’est l’Italie qui n’a pas goûté aux petites piques idiotes de la ministre française. À Rome, les autorités italiennes s’en sont indignées dans un tweet acide du ministre de l’écologie italien, Gian Luca Galletti, qui a violemment rembarré Mamie Ségolène :

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Gian Luca Galletti @glgalletti

Segolene Royal sconcertante: lasci stare i prodotti italiani. Stasera per cena... pane e #Nutella

19:30 - 16 Juin 2015


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« Que Ségolène Royal laisse les produits italiens tranquilles. Ce soir au menu : pain et Nutella »

Eh oui : en l’occurrence, la vérité, M’ame Royal, c’est que vos petites idées sur la déforestation sont grandement exagérées. Et ouvrir son bec pour sortir des âneries peut provoquer des effets très indésirables auprès d’individus qui ne vous ont rien fait et qui travaillent certainement bien plus dur que vous pour assurer leur existence.

Cependant, si d’habitude, il semble assez clair que la politique échappe à l’exigence de vérité, il en fut cette fois-ci autrement : puisqu’il était question de courage quelques paragraphes plus haut, reconnaissons-en même un peu à Ségolène qui aura fini par s’excuser devant la tempête provoquée, ce courage, ou, plus probablement ce petit éclair de lucidité étant d’autant plus à souligner qu’il manque cruellement à d’autres ministres.

Cette histoire de pâte-à-tartiner montre finalement que si la politique n’échappe pas toujours à l’exigence de vérité, elle échappe en tout cas de plus en plus à toute exigence de pertinence.

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