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  • : Le blog de Jean-Loup
  • : Engagé, depuis plusieurs décennies dans une démarche visant à lutter contre tous les processus d'exclusion, de discrimination et de ségrégation socio-urbaine, je suis persuadé que si nous voulons « construire » une société reposant sur un véritable Vivre Ensemble. Il nous faut savoir, donner du sens au sens, prendre le temps de la concertation et faire des propositions en adéquation avec les besoins de nos concitoyens.
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4 juin 2015 4 04 /06 /juin /2015 17:53

En France, le vocable de « médecine libérale » est usurpé depuis longtemps. À l’occasion de la loi Santé au parlement, abordons par le petit bout de la lorgnette un des aspects négatifs résultant de la socialisation croissante de notre système de santé.

Pour ce faire, un article de Vincent Bénard.

Je suis toujours stupéfait par ce qui me paraît être un archaïsme pérenne de l’organisation médicale en France, à savoir le fait que mon généraliste n’a pas dans son cabinet le matériel minimal pour pratiquer, malgré ses 9 années d’études (!), des examens un peu approfondis pour faire un vrai diagnostic. Je dois aller chez le médecin, puis aller au laboratoire d’analyses pour voir mon sang, aller chez un radiologue pour voir deux trois détails, puis revenir chez mon médecin pour en avoir l’interprétation. Avant d’être aiguillé vers des spécialistes, qui eux pourront m’échographier si nécessaire.

Et lorsqu’un de ces spécialiste m’accorde royalement ¼ d’heure d’entrevue après deux mois d’attente, j’ai l’impression que les ¾ de son travail auraient pu être faits par le généraliste…

Le niveau d’équipement des cabinets de généralistes que je fréquente, dans une grande ville sans problème de manque de clientèle, est tout bonnement affligeant.

Je ne vois pas ce qui, techniquement, empêcherait un généraliste de pratiquer une radio, une échographie, un examen détaillé de sang ou d’urine, un ECG, une spirométrie… etc. D’autant plus qu’il existe maintenant des appareillages d’analyse capables de diagnostiquer un nombre important de désordres à partir d’une goutte de sang et pour quelques dollars (voir ici une ITW de la pionnière en la matière) et que l’informatique embarquée des appareils de type ECG renferme une IA capable d’effectuer le premier niveau de diagnostic.

Bref, il me semble que le service rendu au malade serait meilleur et globalement moins coûteux si on pouvait faire du généraliste un vrai diagnostiqueur de premier niveau… Et laisser aux spécialistes les cas vraiment difficiles. Outre le coût de cette division excessive du diagnostic pour les assurances maladie, le temps que cela prend constitue clairement une barrière à l’entrée pour les patients.

Enquête auprès de quelques médecins : qu’est-ce qui entrave les progrès de la médecine générale ?

J’ai donc demandé aux médecins généralistes qui me suivent sur Facebook (environ une vingtaine) de répondre aux questions suivantes :

Suis-je pertinent lorsque j’affirme que notre médecine générale rend un service de niveau inférieur au potentiel des médecins qui l’exercent ? Ou lorsque je pense qu’un généraliste formé pendant 9 ans pourrait pratiquer du diagnostic détaillé de premier niveau avec des analyses « non intrusives » faites « in house » ?

  • Si la réponse à la question précédente est oui, pourquoi voit on peu cela en France ? La contrainte est elle réglementaire ou économique ? Ou autre ?
  • La médecine ne serait elle pas plus efficace si les généralistes pouvaient constituer des « sociétés de santé », sortes de « micro cliniques » capables de délivrer un diagnostic étendu de premier niveau, d’organiser, avec des associés ou des salariés, leurs propres modalités d’accueil 7/7, avec des prix libres et affichés, et le droit de faire de la pub via internet (ou autres) pour faire connaître leur rapport qualité prix ou leur avantage compétitif dans tel ou tel domaine ?

Je synthétise ici les réponses obtenues :

Question 1 : Oui, un généraliste dispose des compétences pour effectuer des examens bien plus approfondis qu’actuellement. Sous réserve, bien sûr, qu’ils puissent consacrer du temps au maintien à niveau de leurs compétences.

Question 2 : Aucune contrainte réglementaire pour aucun examen de base, sauf la radiologie. Pour ce qui est des échographies, il faut un agrément assez facile à obtenir. Par contre, la limitation par la sécurité sociale des consultations de base à 23 euros, tarif le plus faible d’ Europe, et la rétribution tout aussi pingre des dits examens complémentaires, rend impossible la réalisation de ces examens par le généraliste, l’investissement n’en valant pas la peine.

De surcroît, le médecin devant enchaîner les consultations et consacrer un horaire croissant à la paperasserie médicale, faire face à des tracasseries croissantes de la part de la Sécu, il ne peut investir le temps nécessaire à maintenir à niveau ses connaissances sur les différents examens.

La réponse des praticiens est sans appel, quasi unanime, c’est le contrôle étatique des prix qui provoque la stagnation du service rendu.

Notez que dans les campagnes, le contrôle des prix provoque bien plus que cela, la disparition du médecin généraliste de campagne.

Ajoutons que la pratique du « diagnostic superficiel à la chaîne » rend le métier de médecin généraliste moins passionnant, les dévalorise par rapport au spécialiste (« il faut aller chercher un papier chez le généraliste pour pouvoir aller voir le « vrai médecin, le spécialiste » »), et provoque un certain nombre de pertes de vocations (voir ce post de blog particulièrement éclairant à ce sujet, mais une flânerie sur google vous en fournira d’autres). Je lis régulièrement des articles de presse affirmant qu’aujourd’hui, moins de 10% des étudiants souhaitent exercer la médecine en tant que praticien généraliste libéral. Voilà qui ne va pas dans le sens d’un meilleur service rendu aux patients dans les années à venir.

Question 3 : Dans de nombreux pays, comme la Suisse ou le Canada (il y en a sans doute d’autres), les médecins peuvent facilement se regrouper en organisations de type « maisons de services médicaux » capables de délivrer du vrai diagnostic complet : un secrétariat pour la paperasse, une infirmière pour les prélèvements, des appareils de mesure, et une consultation qui dure plus longtemps, coûte aussi plus cher, mais économise aux assurances le recours à des spécialistes pour des tâches de premier niveau pour lesquelles ils seraient sur-qualifiés. En France, les « maisons médicales » ne sont souvent que des regroupements de cabinets médicaux partageant une secrétaire standardiste, donc pas vraiment la même chose.

En France, de telles organisations ne sont possibles qu’en théorie. La contrainte économique (prix réglementés très bas, cf. question 2), couplée avec l’intrusion normative des « Agences Régionales de Santé » (ARS), et de nombreuses exigences bureaucratiques du couple ARS-Assurance maladie, rendent un tel développement économiquement peu envisageable.

Le système français peut-il s’adapter à l’avènement de la médecine 3.0 ? La consultation de base bloquée à 23 euros (tarif le plus bas des pays comparables en Europe) est donc le premier facteur freinant la modernisation de notre médecine générale.

Cette situation qui maintient le généraliste dans un rôle subalterne très éloigné de son potentiel posera à l’avenir de plus en plus problème, à l’heure ou l’informatique 3.0 et les objets connectés paramédicaux vont offrir une information bien plus complète qu’actuellement, et où des startups lancent des capteurs connectables à un téléphone capable de réaliser des analyses de vos principales variables biométriques en temps réel. Bien sûr, tous les utilisateurs n’adopteront pas ces nouveaux outils au même rythme. Mais cette différentiation des profils créera de nouvelles attentes. En l’état actuel, on voit mal comment la profession de généraliste pourrait s’adapter à cette diversification des attentes de différentes clientèles.

Les médecins doivent devenir des entrepreneurs comme les autres, capables d’investir, de faire varier leurs prestations et leurs prix en fonction des attentes de la clientèle, de se faire connaître par une publicité factuelle, et les généralistes doivent pouvoir augmenter la palette de leurs interventions, en profitant, ou plutôt en nous faisant profiter, des révolutions technologiques en cours.

Bien sûr, cela n’ira pas sans risque ; les plus mauvais, les moins capables de s’adapter, disparaîtront. Et alors ? C’est le lot de tout professionnel de tout secteur d’activité. Il y aura des réticences. Après tout, tous les médecins ne sont pas mécontents de faire de l’abattage à 23 euros les 10 minutes avec des listes de clients contraintes par le système du médecin référent, dans des cabinets vétustes réclamant un investissement minimal !

Mais par rapport aux progrès que réaliseront les pays où le système médical est plus flexible, nous risquons de prendre, une fois de plus, un retard dommageable, dans un domaine où nous disposons pourtant encore de nombreux atouts pour figurer dans le peloton de tête des nations développées. En effet, dans les pays où le cabinet médical sera incité à épouser la modernité, de nombreuses startups pourront lancer des produits innovants sur un terrain favorable. Si la France ne prépare pas un tel terrain, alors nos innovateurs médicaux (et il y en a d’excellents !) ne pèseront pas lourd dans la compétition internationale.

Libérer le prix de la consultation médicale, mais permettre à la concurrence de jouer via une obligation d’information claire des patients, est indispensable pour maintenir notre médecine générale au niveau de ce que pourront en attendre les patients d’un pays développé.

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